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"La gastronomie belge de demain sera totale"

  • Photo du rédacteur: lesemulsions
    lesemulsions
  • 13 août 2016
  • 4 min de lecture

Jean-Luc Pigneur forme les jeunes cuistots à la haute gastronomie dans son Atelier du Vieusart à Wavre. Co-fondateur avec Benoit Cloës et Sang Hoon Degeimbre, de Génération W, un collectif de chefs wallons, il porte un regard fédérateur sur la gastronomie belge qu'il voit plus éthique et totale dans les années à venir.

Vous avez co-fondé Génération W pour mieux communiquer sur la gastronomie en Wallonie. Les chefs wallons sont-ils trop discrets ?

Nous avons développé ce collectif en réaction à de nombreuses choses, notamment au déficit d'image de la restauration wallonne à l'étranger. La presse parisienne avait titré il y a quelques années : "La Wallonie, désert de la gastronomie". Alors qu'on regorgeait de restaurants de qualité. Nos voisins ont longtemps cru que la gastronomie belge n'était que Bruxelloise ou Flamande. Il faut savoir que la gastronomie suit l’évolution de la société. Plus il y a de l’argent qui circule, plus il y a des restaurants haut de gamme. Les gens disposent du budget pour se permettre de manger chez un étoilé. La haute gastronomie a donc démarré dans le centre de Bruxelles puis s’est développée en Flandre, plus riche que le sud de la Belgique.

La Wallonie a rattrapé son retard depuis ?

Très vite, de nombreux restaurants de grande qualité y sont apparus. Malheureusement, les chefs wallons ne savent pas communiquer. C’est dans leurs gènes. Au contraire peut-être d’un chef flamand qui avait tout de suite compris qu’il fallait se montrer.

"Si on vous place dans une pièce avec une assiette de poisson, des bruits de mouettes au dessus de votre tête et le son de la mer, vous allez avoir l’impression que votre poisson est beaucoup plus frais !"

Jean-Luc Pigneur

D'où cette volonté de mettre en valeur les chefs et les producteurs wallons.

Exactement. C’est un peu le même chemin qu’ont emprunté d’autres régions d’Europe comme la Catalogne ou le Pays Basque. Leur gouvernement a décidé de pousser leur économie vers l'avant. On s’est rendu compte que si on mettait en valeur la région sur le plan gastronomique, on améliorait l’économie. Qui dit gastronomie, dit fournisseurs, dit producteurs, etc. La restauration génère de l'emploi et va en générer encore plus dans les prochaines années.

C'est à dire ?

La gastronomie va beaucoup plus s'ouvrir au monde et inclure d'autres professionnels, comme des scientifiques. C'est d'ailleurs déjà le cas maintenant. Les chefs passent de plus en plus par le questionnement scientifique. Ils collaborent aussi plus souvent avec les artisans. La gastronomie s'ouvre tout en revenant à son fondement : le produit. La base de la cuisine est de transformer un produit pour créer de l’émotion par la technicité en faisant attention à la santé des clients et en restant attentif à la préservation de l'environnement. La gastronomie devient plus éthique.

"Le cuisinier était alors dans la cave à rôtir ses grosses pièces de viande. Les serveurs coupaient ensuite les beaux morceaux face aux convives et assuraient ainsi le spectacle."

Jean-Luc Pigneur

Et pour le client ?

Il ne vient plus seulement pour manger. Il vient pour être choyé. Il faut le conditionner, le mettre à l’aise et l’installer dans une ambiance qui va décupler son intérêt pour le plat proposé par le chef. Je suis persuadé qu'on va vers du spectacle total. Certains restaurants font déjà intervenir des designers. Peut-être qu’un jour, nous verrons des régisseurs organiser le service. J’en suis sûr. Pour l’instant, on privilégie le sens du goût mais il y a aussi les autres sens. Si on vous place dans une pièce avec une assiette de poisson, des bruits de mouettes au dessus de votre tête et le son de la mer, vous allez avoir l’impression que votre poisson est beaucoup plus frais! Cette évolution, chacun la poursuit à son niveau. Sans toutefois tomber dans le travers du spectacle. Le produit doit être mis en valeur ainsi que le gars qui l’a produit. Gardons l'esprit de l'artisanat. Ne l’abandonnons pas au spectacle comme on a pu le faire avec la montée de l’agroalimentaire d’après guerre.

Ce n'est pas un peu utopique ?

Non. Cette évolution s’est mise en marche progressivement depuis un bon moment. On a l’impression que tout s’accélère mais c’est notre époque qui veut ça. C’est une évolution naturelle. Pièce par pièce, on avance. Mais cela demande beaucoup de réflexion. Avant c’était la salle qui assurait le spectacle. Le cuisinier était alors dans la cave à rôtir ses grosses pièces de viande et faire bouillir les marmites. Il travaillait un peu comme un mineur. Les serveurs coupaient ensuite cette viande face aux convives et assuraient ainsi le spectacle. Aujourd’hui, le cuisinier est remonté de sa cave, il a pris de l’importance et la salle a perdu certaines de ses fonctions. Il faut retrouver cette surprise et ce besoin de vivre une expérience.

C'est cela que vous enseignez à vos étudiants ?

J'essaye. Face à ces évolutions, la formation ne suit pas. Les institutions en Belgique sont trop complexes à manœuvrer et leur adaptation prend énormément de temps. Il y a toujours eu deux écoles en Belgique. Une école plus classique, toujours très bonne mais sans surprise et une école de l’expérience, qui teste et dont les résultats peuvent tantôt être décevants mais souvent surprenants et qui a le mérite de se poser des questions sur la gastronomie. Elle interroge et permet d’avancer. À l’école, les étudiants sont encore formés à la méthode classique. Quand on te demande de faire une mayonnaise par exemple, on te donne les ingrédients puis on te dit de les mélanger et tu as intérêt à le faire. L’enseignement ne va pas plus loin dans l’explication. Si on précise que la mayonnaise est une émulsion d'un corps gras dans l'eau, on permet à l’étudiant d’aller plus loin dans sa cuisine.


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